Mise à jour le 26 mai 2008 par matbios
Table des matières
Le Category Management
L’Efficient Consumer Response (ECR) a considérablement modifié les pratiques de la distribution alimentaire aux Etats-Unis et en Europe dans les années 90. Ces nouvelles pratiques ont amené les distributeurs à restructurer leur offre : il a fallu accélérer l’échange d’informations avec les fournisseurs et les processus de livraison dans les magasins, ce qui a contribué à limiter les stocks et les opérations de manutention… Tout cela s’est traduit par une plus grande efficacité. Le volet offre de l’ECR n’est généralement pas perçu par le consommateur.
Le volet demande est désigné par le terme « category management », qui regroupe le merchandising, les promotions, les prix et l’assortiment de produits. Le category management est défini par le projet sectoriel en la matière (Joint Industry Project on ECR) comme le « processus par lequel distributeurs et fournisseurs gèrent les catégories de produits comme des unités commerciales stratégiques, et améliorent les résultats en s’attachant à offrir de la valeur au consommateur. »
Le category management est considéré comme la nouvelle « science de la distribution » pour trois raisons. Il met tout d’abord en œuvre un processus systématique qui a fait ses preuves dans des cas de figure très différents, chez des distributeurs de tous les continents. Ensuite, il s’appuie sur des analyses complexes, effectuées sur des données recueillies auprès des consommateurs, des magasins et des marchés. Enfin, il supprime le biais introduit par les marques, qui cherchent à accroître leurs parts de marché, et le remplace par un point de vue beaucoup plus objectif : les souhaits du consommateur.
Contexte et stratégie
Les initiatives ECR, initialement conçues en 1993 pour les circuits de distribution alimentaire aux Etats-Unis, ont permis de relever plusieurs pratiques non rentables : au total, on a évalué à 30 milliards de dollars le montant de ces opérations, qui n’apportaient rien au consommateur. L’objectif ultime de l’ECR est d’arriver à un système réactif et déterminé par le consommateur dans lequel est prise en compte la totalité de la chaîne de l’offre en vue de réduire les coûts et les stocks, tout en améliorant le choix pour le consommateur.
Du point de vue stratégique, le category management consiste à diviser le magasin d’alimentation en 150 à 250 catégories de produits ayant chacune son rôle et ses objectifs en termes de chiffre d’affaires, de résultat, d’actif et de productivité. Le Joint Industry Project on ECR définit ainsi une catégorie : « groupe distinct et gérable de produits ou de services perçus par le consommateur comme liés et/ou interchangeables pour répondre à ses besoins ».
En utilisant le category management, le distributeur cherche à se différencier de façon durable et à obtenir un avantage concurrentiel catégorie par catégorie. Il gère chacune d’entre elles comme une unité commerciale stratégique. Le but est de concevoir le marketing mix d’une catégorie de manière à donner davantage de valeur au client que s’il achetait sous une autre formule de distribution.
Avant d’opter pour le category management, les distributeurs de l’alimentaire avaient tenté d’enrayer l’érosion de leurs marges en augmentant la fréquence et l’ampleur des promotions, en exigeant des producteurs des frais de référencement pour le lancement de nouveaux produits et en renforçant leurs marges aux dépens des fournisseurs. Cette méthode à courte vue ne tenait pas du tout compte des consommateurs, qui se sont montrés dès lors moins fidèles. Le projet sectoriel sur l’ECR, en 1993, était en fait une tentative désespérée des distributeurs alimentaires pour remplacer des méthodes inefficaces et mal orientées par un ensemble de pratiques améliorées donnant de la valeur ajoutée au consommateur. Le groupe de partenaires a ainsi officiellement défini les grandes étapes de la mise en œuvre du category management, publiées sous le titre « Best Practices Category Management Report », en 1995.
En donnant un surcroît de valeur au client, catégorie par catégorie, les distributeurs de l’alimentaire cherchaient à contrer diverses autres formules de vente au détail. Par exemple, les ventes de produits pour animaux de compagnie s’effondraient, au profit de grandes surfaces spécialisées, de même que les ventes de produits d’hygiène et de beauté au profit des « hard discounters » spécialisés. Les « club stores » s’implantaient sur les produits en gros et d’autres nouvelles formes de magasins, comme Wal-Mart, prenaient des parts de marché.
Chaque fois, les formules alternatives paraissaient plus attrayantes pour le consommateur, qui n’hésitait plus, dès lors, à se rendre dans un magasin différent. Certes, les distributeurs de l’alimentaire ont été les principaux bénéficiaires du category management. Mais c’est une arme à double tranchant, dans la mesure où il a aussi été adopté par les grandes surfaces d’hygiène et de beauté, par les discounters et par les magasins de proximité.
Lancées aux Etats-Unis, les méthodes de category management ont été rapidement adoptées en Europe. Des travaux parallèles, parrainés par ECR Europe, ont donné lieu à la publication de rapports sur les meilleures pratiques de category management et sur les assortiments les plus efficaces. En Europe, les initiatives côté offre ont été compliquées par la diversité des cultures, des langues et des systèmes nationaux, mais le category management, côté demande, est parvenu à maturité beaucoup plus vite qu’aux Etats-Unis.
Un processus en huit étapes
Avec quelques variations, le processus en huit étapes défini par le groupe de partenaires a été adopté par les consortiums ECR aux Etats-Unis, en Europe et au Brésil (voir figure 1).
Définition des catégories
Le détaillant démarre ce processus de gestion par la répartition des produits en catégories. Une catégorie est idéalement définie par l’utilisation chez le consommateur. Exemple : produits de soins capillaires, aliments pour chiens et chats, potages et yaourts. Autre critère : l’emballage. Ainsi, les jus longue conservation, les jus réfrigérés et les jus concentrés congelés constituent trois catégories distinctes. Pour le magasin, l’idéal est que chaque unité faisant partie du stock (désignée en anglais par « stock keeping unit », ou SKU) appartienne à une catégorie. Dans la pratique, les détaillants commencent par intégrer ce mode de gestion catégorie par catégorie, de sorte que chaque unité SKU soit affectée à une catégorie au fur et à mesure, et non en une seule fois.
Rôle des catégories
On attribue ensuite à chaque catégorie le « rôle » qu’elle doit jouer au niveau du magasin. Le rapport sur les meilleures pratiques en matière de category management définit quatre rôles, fondés sur le positionnement vis-à-vis des consommateurs.
1. Catégories de destination :
celles par lesquelles le détaillant essaie de se distinguer de la concurrence en offrant une valeur supérieure au consommateur. Par exemple, le distributeur peut choisir d’englober dans cette catégorie le café, les pâtes, le papier, le pain, les boissons non alcoolisées et certaines denrées périssables.
2. Catégories de routine :
celles que le consommateur achète régulièrement au magasin. Exemple : les jus de fruits, le lait, les céréales, la lessive et les aliments pour animaux de compagnie.
3. Catégories occasionnelles/saisonnières :
celles qu’on achète moins fréquemment, comme les condiments et les crèmes solaires.
4. Catégories de proximité :
le client sait qu’il peut avoir un choix plus étendu et de meilleurs prix ailleurs, mais il les achète dans le magasin le plus proche parce que la qualité est suffisante pour éviter un déplacement dans un autre point de vente. Exemple : les produits pour l’automobile, les produits « bio » ou les confiseries.
Une catégorie n’a d’autre rôle fixe que celui que lui attribue le distributeur. Ce dernier doit organiser ses catégories selon un « portefeuille » de rôles équilibré pour gérer chacune d’entre elles d’après leur rentabilité attendue et pour mettre en œuvre les stratégies et atteindre les objectifs de son entreprise.
Evaluation des catégories
Cette étape consiste à évaluer en détail les sous-catégories, segments, marques et SKU de chaque catégorie d’après les informations émanant du consommateur, du distributeur, du fournisseur et du marché. L’évaluation des catégories se fonde sur un certain nombre d’outils analytiques conçus pour déterminer les points forts, les points faibles, les opportunités et les risques de chaque catégorie. Idéalement, l’analyse comporte une comparaison entre les données des lecteurs optiques au niveau du magasin et celles du marché, obtenues auprès d’une banque de données du secteur telle que Nielsen, IRI ou GfK.
On utilise normalement des tableurs pour ce type d’analyse. On trouvera, figure 2, un exemple d’analyse des sous-catégories constituant la catégorie jus concentrés congelés. L’axe des ordonnées représente la part de marché du magasin par rapport au segment correspondant. L’axe des abscisses représente les résultats récents du magasin par rapport au reste du marché. Dans cet exemple, pour deux sous-catégories (les jus d’orange d’un côté, les punchs et les boissons fruitées de l’autre), non seulement le magasin détient une part de marché plus faible que celle de ses concurrents, mais encore, chez lui, ces produits progressent moins vite qu’ailleurs. Au contraire, les cocktails de fruits et les autres mélanges affichent à la fois une part de marché et une croissance supérieure à celle de la concurrence.
Le graphique contribution à la marge montre le rapport entre le chiffre d’affaires de chaque sous-catégorie et son niveau de marge brute. L’analyse rentabilité de la marge brute/capitaux investis mesure la (TOURNE) performance du stock du détaillant, indiquant le rapport entre la rentabilité de la marge brute et la rotation annuelle des stocks.
Chacun de ces graphiques, entre autres outils d’évaluation, donne une idée précise de la performance de la catégorie (et de ses composantes) en tout cas à certains égards.
A la figure 2, les graphiques par quarts indiquent que les performances de la sous-catégorie des mélanges pourraient être meilleures moyennant une augmentation des prix et une baisse des stocks. Dans la sous-catégorie FCOJ (jus d’orange), étant donné le nombre élevé de rotations indiquées par le graphique GMROI, le détaillant qui a opté pour la gestion par catégorie doit peut-être ajouter quelques SKU pour améliorer sa croissance et sa part de marché. Pour la sous-catégorie Dr/Ade/Ph, il doit peut-être envisager une politique plus agressive sur les prix et supprimer certains SKU à faible rotation. Pour le choix de la tactique définitive (ex : quels SKU ajouter ou supprimer ?) il faudra faire une analyse par quart de ce type au niveau de la marque et du SKU.
Classement des catégories
Cette opération sert à « noter » la gestion par catégorie. Ce qu’on mesure dépend du rôle et des stratégies attribuées à chaque catégorie. Cependant, les critères les plus couramment utilisés sont la part de marché, le chiffre d’affaires, la rentabilité de la marge brute sur investissement et le résultat net. Les notes attribuées permettent de structurer et de discipliner le processus de category management, et de définir les objectifs du responsable de ce management.
Stratégie par catégorie
Il faut déterminer des stratégies de marketing, d’offre produits et de services en magasin pour chaque catégorie. Les stratégies de marketing par catégorie consistent en général à renforcer le trafic, les transactions, la contribution au résultat, la génération de trésorerie, l’animation, à créer une image et à défendre « le territoire ».
Tactique par catégorie
Une fois la stratégie choisie, il convient d’élaborer un plan indiquant les tâches à accomplir pour la catégorie concernée. Le plan porte à la fois sur les côtés offre et demande de cette catégorie. Côté demande, on détermine l’assortiment de produits optimal, les prix, la présentation en rayon et la tactique de promotion, alors que côté offre il s’agit plutôt de l’approvisionnement et de la distribution des produits.
Mise en œuvre par catégorie
Alors que le plan tactique met l’accent sur les tâches à accomplir, le plan de mise en œuvre précise qui doit exécuter le plan par catégories, quand et comment. Il prévoit notamment une affectation des tâches, un calendrier et la fourniture des ressources nécessaires.
Analyse par catégorie
Pendant la réalisation du plan, la catégorie fait régulièrement l’objet d’un suivi, de mesures et de modifications.
Processus de prise de décision basé sur les faits
La gestion par catégorie est considérée comme une méthode « scientifique » de la distribution parce qu’elle consiste en un processus de prise de décision fondé sur des données et des faits. Cette méthode a pu se développer grâce à l’informatique et aux systèmes d’aide à la décision mis au point par les consultants du secteur. Elle a considérablement changé le rôle de l’acheteur et du vendeur.
La gestion par catégorie s’articule nécessairement autour de la base de données et dépend très fortement de l’analyse. Même l’évaluation par catégorie la plus simple faisant appel à l’analyse Pareto pour le classement des résultats ou du chiffre d’affaires en volume des SKU d’une catégorie nécessite des chiffres précis sur les ventes en magasin. Les évaluations par catégorie visent à intégrer les données du magasin, les données sur le marché (fournies par les services de données), ainsi que les informations sur les consommateurs fournies par les fabricants en vue d’identifier des « créneaux » pour le chiffre d’affaires, le résultat et la rentabilité des capitaux investis.
La collecte, la standardisation, la gestion et l’analyse de volumes de données aussi considérables à partir de sources multiples nécessitent un engagement en matériel informatique, logiciels et personnel. La gestion par catégorie transforme la masse des données recueillies par les lecteurs optiques du magasin en informations utilisables.
La gestion par catégorie est bien moins complexe depuis que des programmes existent pour intégrer ces diverses sources de données et automatiser l’analyse fondamentale. L’objectif est de réduire le temps nécessaire à l’étude d’une catégorie et à la standardisation des informations utilisées par les gérants. Ces programmes peuvent être obtenus auprès de consultants ou de producteurs de bases de données, sachant que de grandes sociétés telles que Procter & Gamble et Coca-Cola ont développé leurs propres outils d’analyse sur la base du modèle Best Practices Category Management de TPG.
L’un des résultats les plus importants de la méthode de décision d’après les faits est que le rôle de l’acheteur dans le secteur de la distribution a changé. La planification par catégorie détermine l’assortiment, les linéaires et la présentation des SKU de manière à satisfaire au mieux le client d’après les informations recueillies. Ainsi les modes d’achat traditionnels sont relégués à un simple rôle de logistique : il s’agit de réduire au minimum la distribution les livraisons et les stocks en veillant à ce que les rayons restent toujours approvisionnés. Le category management inscrit toutes ces tâches dans une gestion totale des actifs contenus dans une catégorie.
Une approche objective
L’autre raison pour laquelle la gestion par catégorie est considérée comme un mode de « distribution scientifique » est qu’elle implique un partenariat entre détaillants et fournisseurs. A cette fin, les uns et les autres doivent examiner le marché à l’aide d’instruments objectifs pour mieux servir le client.
Auparavant, fournisseurs et distributeurs au détail se considéraient un peu comme des adversaires. Pour qu’un nouveau produit trouve sa place sur les rayons, mieux valait proposer une bonne prime de lancement qu’insister sur sa capacité à répondre aux attentes des consommateurs. Les techniques commerciales se fondaient davantage sur les sommes versées au distributeur au détail que sur la valeur apportée au consommateur. Les prix étaient fixés plus en fonction de la marge brute que du bénéfice réel. On procédait donc au petit bonheur la chance, essayant de redresser les marges plutôt que de fidéliser la clientèle.
L’impératif d’objectivité de la part du fournisseur est mis en évidence lorsque ce dernier est considéré comme un « capitaine de catégorie ». Dès lors, le distributeur au détail sélectionne son fournisseur pour la catégorie concernée parce qu’il le considère comme le plus apte pour la gestion de cette catégorie. Le capitaine de catégorie définit avec le distributeur au détail un plan pour la catégorie de A à Z, y compris les marques des concurrents et les marques de distributeur.
En fait, le distributeur au détail confie le sort de l’ensemble d’une catégorie à un fournisseur unique, modifiant ainsi le rôle fondamental de la vente. Plutôt que de chercher à gagner des parts de marché au détriment des marques de ses concurrents, le capitaine de catégorie cherche à réaliser des bénéfices en augmentant la taille et la performance de la catégorie, de sorte que toutes les marques (y compris celle du capitaine) contribuent au bénéfice.
Toute tentative de la part du capitaine pour « biaiser » le rapport ne ferait que nuire à la performance anticipée de la catégorie, avec des conséquences sur le processus de planification stratégique. C’est en se fondant sur des données objectives et en respectant les huit étapes de la gestion par catégorie que l’on obtient le plan d’action le plus susceptible de définir la meilleure catégorie pour un segment de consommateurs cibles donné.
La définition de la planification stratégique se traduit souvent par la réduction du nombre des SKU. Le capitaine de catégorie doit rester objectif même lorsque ses propres SKU sont éliminés. Les évaluations de catégories aux Etats-Unis et en Europe aboutissent en moyenne à la recommandation de réduire de 10 % à 15 % les SKU d’une catégorie (même si certains recommandent d’ajouter des SKU). Les études effectuées montrent qu’on peut éliminer (déréférencer) dans certaines catégories 25 % de SKU sans réduire la satisfaction de la clientèle. En fait, la satisfaction de la clientèle devrait même augmenter dans la mesure où le distributeur au détail est plus à même de garder en stock les articles les plus appréciés par le segment concerné. En outre, les achats deviennent plus faciles et moins déroutants pour les clients.